Si c’est fort, c’est que c’est mieux…
A tous les musiciens qui ont déjà joué dans un bar : vous souvenez-vous de ce récurrent spécimen d’humanité qui, ivre de musique (et d’alcool aussi un peu…), braille invariablement dès la deuxième chanson : « Plus fort ! »… Pardon : « PLUS FOOOORT !! ». Indépendamment de la gêne procurée (ou de l’amusement si vous êtes patient), cet individu nous livre malgré lui une information très utile : les sons forts sont perçus comme plus flatteurs par nos oreilles.
Plus fort, oui et alors ?…
Par un curieux phénomène (qui s’explique entre autres par les courbes de Fletcher et Munson, nous y reviendrons), notre système auditif nous joue ce vilain tour de nous faire préférer les sons les plus forts ou plus précisément, préférer le plus fort de deux sons, lorsqu’on les compare par exemple. Vous ne me croyez pas ?
Lors d’un cours que je donnais dans le cadre de mon travail à FORMAT-SON, j’ai tenté une petite expérience : après avoir éteint le vidéo-projecteur utilisé pour les démonstrations (afin d’éviter toute information visuelle), j’ai fait écouter aux six stagiaires présents un petit morceau d’audio, puis le même légèrement modifié en leur demandant de me dire lequel ils préféraient, à l’aveugle. Tous, je dis bien tous, ont préféré le deuxième. Je suppose que psycho-acoustiquement, ils ont ressenti un meilleur son, des traitements de qualité supérieure ou une égalisation plus fine…
En réalité, il s’agissait exactement du même titre, simplement dupliqué mais diffusé très légèrement plus fort. Rien d’autre. Au passage, vous aviez certainement déjà remarqué que les publicitaires ont (malheureusement) bien compris cet état de fait, les radios commerciales également…
D’accord, mais bon ?…
Le problème que cette cette étrange situation génère, c’est que notre système d’appréciation est piégé. Donc à tous les coups, j’insiste, à tous les coups (même en le sachant), nos jugements vont être faussés, souvent de manière très préjudiciable en ce qui concerne nos mixages et ce dans plusieurs cas de figures que vous allez peut-être reconnaitre :
- vous utilisez un égaliseur et comme beaucoup de débutants, vous avez boosté pas mal de fréquences. De fait, le signal modifié est plus fort. Il vous paraît donc meilleur, alors qu’à la base, bien que différent, il présente surtout un volume plus élevé. Je ne dis pas qu’il est forcément moins « bon », mais que la seule manière de vous en assurer sera, d’une manière ou d’une autre, de comparer la différence de traitement à niveau égal, en ajustant le niveau de sortie de l’EQ par exemple. Remarquez ci-dessous comme le niveau Out est quasiment 6 dB plus fort que le niveau In :
- vous réglez votre compresseur favori et subissant de fait la perte de volume qu’implique ce traitement, vous trouvez régulièrement que le son traité est moins « bon » que le son d’origine… Jouez donc avec le niveau de sortie du plug-in (ou de la machine si vous en possédez une) pour faire en sorte de retrouver le même volume ressenti avec et sans le Bypass. Vous allez maintenant pouvoir juger réellement de la qualité de votre action et éventuellement modifier vos réglages.
- après avoir passé votre blouse blanche d’Ingénieur Du Son De Mastering, vous vous attaquez à votre dernier titre. Égalisation mid-side, compression multi-bandes, élargisseur stéréo, tout l’arsenal y passe, bien évidemment suivi de votre plus puissant Maximiseur (pour gagner du volume, n’est-ce pas ? Tiens, tiens…). Ça y est, vous terminez, épongez votre front et après réflexion, voilà qui est mieux, bien mieux… Essayez donc d’écouter le titre Masterisé avec un volume équivalent au mix d’origine… toujours bien meilleur ?…
Conclusion
Dans tous ces exemples que vous avez peut-être vécus, la différence de volume intervient et à tous les coups elle nous désavantage. Il m’arrive encore régulièrement de me laisser avoir, bien que je soie au courant du phénomène depuis des années ! Je pourrais encore vous citer des tonnes de cas de figure pour tenter de vous convaincre, mais, notre temps à tous étant précieux, je vous demande d’essayer de me croire sur parole et terminerai rapidement par ce simple conseil :
Chaque fois que vous comparez vos sons, faites-le niveau égal ! Toujours !
Ouais mais si c’est trop fort, c’est que t’es trop vieux (Lemmy Kilmister, philosophe contemporain)